Rainbow Appaloosa
L'histoire de la jument craintive
Rock My Nugget
Nous avons pour habitude "culturelle" de désigner l'étalon comme le chef d'un troupeau de chevaux et sa favorite la jument "alpha". C'est notre manière de regarder. Un autre regard nous ferait voir la matrone et "son" étalon ou bien les juments et leur étalon ou encore le troupeau et son étalon ou la matrone du troupeau ou le troupeau tout court...
L'étalon et la matrone seraient peut-être les leaders, ou peut-être pas, à ma connaissance il n'y a pas ou très peu de documentation sur les dynamiques relationnelles des juments au sein d'un groupe de chevaux. Même dans les documentaires sur les chevaux sauvages tels que "Cloud" l'étalon sauvage des Montagnes Rocheuses, le héros, le chef, le leader est toujours l'étalon et l'auteure du documentaire s'est surtout intéressée aux dynamiques relationnelles des mâles.
Notre étalon Phoebus
Je suis très ennuyée d’entendre et de lire partout que le cheval suit volontiers une personne qu’il reconnaît comme un leader sécurisant. Je ne suis pas certaine que pour le cheval il s’agisse de suivre ni de leader. Pour lui c’est peut-être accompagner, escorter, c’est peut-être plus quelque chose comme « être ensemble » plutôt que de suivre un leader.
Tepïn, Pico, Nugget, Yussi
Dans mon petit troupeau d’Appaloosas composé, au moment des faits que je vais raconter, de Yussi 17 ans et son poulain de l’année, de Nugget 8 ans avec nous depuis à peine plus d’un an et de Pico yearling de l’année précédente, l’évidence désigne Yussi comme matrone absolue. Phoebus le sire de tous nos poulains est à ce moment là près d'Agen à la saillie. Les membres du troupeau obéissent au moindre signe de Yussi. Nugget, apparemment tout en bas de la hiérarchie est souvent un peu à l’écart et rarement à l’écurie avec les autres. Il est tentant d’interpréter qu’elle a peur de Yussi et qu’elle est une jument inquiète toujours sur le qui-vive en présence des autres chevaux.
Nugget
Un jour, ou plutôt un matin tôt avant l’aube, j’entends du bruit à l’écurie. Bizarre car les chevaux sont au pré et ils n’ont pas accès aux boxes. Je vais voir au pré derrière la maison, j’entends un doux hennissement vers les boxes. Il fait nuit noire il n’y a que la lumière des étoiles, pas de lune. Il me semble que je distingue les silhouettes des quatre chevaux dans le pré.
Je vais voir les boxes de l’autre côté… sans lampe de poche car je n’en possède pas. La porte vers la cour est grande ouverte, normal je l’ai laissée ainsi hier. Je constate que la porte vers le pré est fermée, normal aussi ! Tout est noir, rien ne bouge, silence. Il y a pourtant quelque chose dans ce silence. Je ne bouge plus et je scrute l’obscurité avec « mes autres yeux ». Je vois une étoile scintiller à la hauteur de mon visage au fond du boxe du fond. Puis j’entends son souffle. A cet instant précis il fait un pas vers moi, mon cœur bat fort, je fais un pas vers lui. Il est noir dans le noir, il est luisant et c’est quand je vois les reflets étoilés des toutes premières lueurs avant l’aube dans ses longs crins ondulés que je réalise que c’est Tao, l’étalon Mérens de Jo. Tao s’avance vers le dernier box qui donne sur le pré. Une toute petite porte d’écurie, un fétu de paille pour la puissance d’un Mérens, le sépare des juments. Elles ne sont pas loin, sans doute curieuses de cet individu apparu dans la nuit. Comme je ne connais Tao que de vue, je ne vais pas me mettre entre lui et la porte. Je cours pour téléphoner à Jo, à ce moment là j’entends le bruit de la porte qui cède à l’épaule de Tao, suivi du tonnerre de sabots.
Tout est cassé à la porte du box
Tonnerre de sabots
C’est le bazar dans le pré et je prie pour qu’aucune des juments ne soit en chaleur, même si je ne peux empêcher la fugitive et superbe vision d’un bébé croisé Appaloosa-Merens avec la croupe tachetée de traverser mon esprit rêveur…
Evidemment, à 5h du matin Jo dort et ne répond pas au téléphone, je laisse un bref message avant de courir au pré. Tao est assez calme, il regarde de loin le petit troupeau. Les poulains sont agglutinés à Yussi, et Nugget se trouve à mi-chemin entre Tao et les autres, tendue vers l’intrus.
De temps en temps Tao tente une approche, ce qui déclenche systématiquement une galopade avec Yussi en tête suivis de très près par les deux poulains. Nugget surveille les arrières, prête à je ne sais quoi, hyper attentive au moindre mouvement de Tao.
Je n’avais jamais vu Nugget ainsi. Moi qui la croyais faible, soumise, craintive, dominée et tout en bas de l’échelle hiérarchique. La voila Amazone défenderesse de son troupeau, agressive, Antigone combattante, protectrice et guerrière face à un étranger de taille imposante et certainement avec une puissance supérieure à la sienne. Je la vois confrontante et ferme, c’est sans discussion et sans appel, il n’approche pas des autres car elle s’interpose à chaque tentative de Tao. C’est toujours très compliqué pour un troupeau de chevaux quand un « étranger » arrive. L’assimilation dans le groupe d’un inconnu, ou même d’un connu qui revient après une absence (forcée par l’humain) prend du temps. Il semble qu’il y ait des protocoles, des rites et tant de choses que nous n’avons pas encore comprises.
Autant pour toutes les théories sur le leadership absolu de la matrone qui viennent d’exploser. Nugget nous a montré quelque chose de la place de l’individu en lien avec les besoins de la situation et les talents personnels. Yussi allaitante était à sa juste place avec les petits à l’écart de l’étranger intrus. A la poubelle les préceptes sur la hiérarchie verticale chez les herbivores. Nugget soumise ?! Je pense que nous n’avons rien compris et que nous avons comme d’habitude regardé par la lorgnette humaine bien conditionnée par notre culture et notre époque.
Tao
Quand à Tao, il nous a montré autre chose. Nous avons appris, quand Jo est venu le chercher, que l’autre étalon là bas avait tout cassé et qu’il était allé directement attaquer Tao afin sans doute de s’approprier toutes les poulinières. Tao, à peine quatre ans, plutôt que de se battre avec un colosse d'un mètre soixante cinq, a sagement fui et est venu rejoindre le troupeau le plus proche qu’il connaissait puisque Jo était venu en ballade ici quelque temps avant et nous ne sommes qu’à 2 km. C’est l’intelligence cheval, la « logique troupeau » qui veut ça. Être séparé du groupe, pour un animal de troupeau, équivaut à se perdre et là ou il reste de grands espaces c’est synonyme de grand danger voire d’une mort probable.
Nous avons appris plus tard que l'autre étalon, habitué à vivre enfermé dans un box, ne sortant qu'une heure en soirée pour se dégourdir les
jambes quand les autres chevaux sont rentrés, ou bien sortant pour les occasionnelles saillies au printemps, avait ce jour là cassé la porte de sa prison à coups de poitrail, et "nul ne sait
comment" il s'est fracturé l'épaule. Les propriétaires n'ont rien pu faire pour soigner la fracture. Il ne pouvait plus se lever. Il est décédé trois semaines plus tard... au box...
Nugget devant!
Le « chef étalon » et le concept de « jument alpha » sont des inventions d’observateurs qui ne savent regarder autrement qu’au travers de la lorgnette hiérarchique patriarcale.
Jo est venu réparer la porte de l'écurie et nous en avons profité pour tout refaire du côté ouest.
Nugget et Pico
Si je fais l’exercice de mettre de côté le concept de leader, que reste-t-il ? Si je ne suis pas leader, je suis quoi ? Si je ne suis ni en haut ou en bas, ni devant ou derrière je suis où ? Si je ne suis pas au dessus, ni plus, ni mieux, ni moins bien, quelle est ma place ? Si j'enlève tout ça, que reste-t-il?
Yussi surveille pendant la sieste
Suite à ces réflexions je laisse vagabonder ma pensée en contemplant le troupeau paisible... Ce que nous appelons habituellement « conscience » n’est autre que la pensée, la pensée n’étant pas forcément très consciente... Ce que nous appelons "conscience" est peut être la continuité de la présence, dans laquelle les émotions et les pensées seraient le fil et la trame qui déterminent notre réalité. L'existence est le flux en perpétuel mouvement du ressenti et de l’éprouvé, sans s’attacher à quelque chose de particulier... comme l'eau.
Tepïn, Nugget, Pico 2010
Il n’y a rien à faire, il n’y a rien à prouver, il n’y a nulle part d’autre ou aller, ce n’est ni bon ni mauvais, ni j’aime ni je n’aime pas. Il y a à être, ici, maintenant, en devenir de l’instant suivant avec ce qui se trouve là en ce moment. Comme je suis n’est ni bien ni mal. Ce qui se passe n'est ni recherché ni à éviter. C’est une invitation à rentrer chez soi, une invitation à maintenant, c’est un présent !
Pico
Equus Gestaltung
L'Elevage Rainbow Appaloosa
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Dominique Cuyvers
rainbow-appaloosa@orange.fr
Tél. 09 60 49 68 26